Opinion  États-Unis

Une présidence bénéfique ou désastreuse ?

L’imprévisible Donald Trump est tout ce que l’on peut souhaiter et craindre à la fois

Il est difficile de faire des prédictions, surtout sur l’avenir, disait le légendaire Yogi Berra. On ne peut mieux dire à propos de Trump et des États-Unis en 2017. L’imprévisible président désigné est tout ce que l’on peut souhaiter et craindre à la fois. Plutôt que de tenter de prédire, il vaut mieux se contenter de soulever les tendances et les dossiers chauds qui marqueront les 12 prochains mois de « montagnes russes » à l’américaine.

LA DESTRUCTION DE L’HÉRITAGE d’OBAMA

La marque d’Obama demeure en tout premier lieu celle de sa politique intérieure. Ses réalisations pour relancer l’économie américaine en 2009 (évitant une crise aussi grave qu’en 1929), pour mettre en place la loi Obamacare et, dans le domaine de l’environnement, signer le traité de Paris, sont historiques. 

Hélas, ces trois grands succès pourraient être grandement mis à mal dans les premiers mois de la présidence de Trump. 

Celui-ci pourra-t-il notamment satisfaire sa clientèle électorale et faire en sorte que la classe moyenne trouve rapidement espoir (et son compte) dans le projet Trump, afin de réduire les écarts de richesse et ramener les emplois dans les États industriels des Grands Lacs ? Ses réformes fiscales se concrétiseront-elles ? Quel sera leur impact sur le premier budget que le nouveau président proposera au Congrès ? On verra bien si Trump le pragmatique surmontera Trump le colérique, mais force est de constater que le cabinet nommé par le président désigné, qui vaut 17 milliards de dollars, sert mieux la classe du 1 % (preuve en est l’embellie boursière) que la classe des cols bleus qui l’a élu ! 

À cet égard, s’il y a une chose à craindre en 2017, selon bien des observateurs, c’est l’irruption de colère (lire violence ?) aux États-Unis chez les Blancs déçus par les promesses non tenues de Trump. Le sort qui sera réservé à l’Affordable Care Act (Obamacare) sera aussi déterminant, dans la mesure où de très nombreux Américains de la classe moyenne bénéficient en fait de la révolution Obama en ce domaine. Il faudra également suivre la nomination d’une centaine de juges fédéraux, ainsi que celle d’un juge à la Cour suprême, qui risquent de modifier de fond en comble les orientations et les décisions judiciaires. Sans parler enfin de la décision cruciale que Trump nous réserve, à savoir s’il retirera par décret exécutif la signature américaine du traité de Paris, ce qui achèverait de détruire l’héritage d’Obama.

QUELLE DOCTRINE DE POLITIQUE ÉTRANGÈRE ?

La politique étrangère du président sortant a été fondée sur la prudence, le calcul rationnel constant et le multilatéralisme – préservant ainsi encore pour un temps l’hégémonie américaine et l’ordre libéral international. Il est vrai que ceux-ci ont déjà été mis à mal par le retour de la Russie et la montée de la Chine, mais la question sera surtout de savoir en quoi la gestion par Trump de la politique étrangère améliorera ou empirera la position des États-Unis dans le monde. 

Les dossiers sont nombreux et s’additionnent : Poutine, la Syrie, l’Iran, Israël et la Palestine, la mer de Chine, la Corée du Nord, l’Afghanistan, sans parler de terrorisme et de l’avenir du groupe armé État islamique. Trump, qui se targue d’être le négociateur parfait, procédera-t-il à l’instauration d’une nouvelle politique étrangère fondée sur l’idée de deals avantageux pour les États-Unis, mais qui font fi des principes et du droit ? Voilà qui battrait un peu plus en brèche l’héritage d’Obama. 

Déjà, les déclarations et les gestes étonnants de l’apprenti président, face à la Russie et à la Chine, ont de quoi inquiéter. Toute la planète devra s’ajuster à l’imprévisible Trump et à ses tweets déconcertants. Quelle sera la première crise majeure où Trump devra montrer de quoi il est (in)capable ? On ose imaginer ainsi un attentat terroriste d’envergure sur le sol américain, provenant du Moyen-Orient, et ses effets sur la sécurité intérieure et l’immigration. Non seulement l’ordre international libéral serait alors sérieusement fragilisé, mais celui américain aussi. Ce qui nous amène à conclure sur ce qui est, à notre avis, la variable la plus critique de cette présidence débutant le 20 janvier.

QUI DÉCIDERA DANS L’ADMINISTRATION TRUMP ?

Les nominations par Trump de ses conseillers et secrétaires (ministres) sont capitales. Le président qui se considère comme un patron de conseil d’administration déléguera certes toute la mise en œuvre de ses décisions et de ses politiques, quoique lui et lui seul, peut-on anticiper, décidera (parfois ou souvent impulsivement, par tweet) de l’orientation initiale de celles-ci. 

Trois questions se posent alors et auxquelles nous aurons des réponses dans la première année. Quel sera le style décisionnel de Trump ? Qui sera le tsar du processus décisionnel ? Et qui aura la mainmise sur la fabrication de la politique étrangère ? Ainsi, une présidence centralisatrice comporte des risques de dérapage autoritaire sous Trump. Cela sera surtout vrai si le nouveau secrétaire de la Maison-Blanche (Reince Priebus) reçoit la responsabilité de coordonner la politique intérieure, avec le soutien du vice-président Mike Pence, du conseiller Stephen Bannon et du gendre de Trump, Jared Kushner, et si le nouveau conseiller pour la sécurité nationale (Michael Flynn) obtient celle de la politique étrangère. Dans ce domaine, on peut particulièrement craindre des rivalités décisionnelles sérieuses entre Flynn et les secrétaires nommés aux Affaires étrangères (Rex Tillerson) et à la Défense (James Mattis).

Cette situation n’irait pas sans rappeler le premier mandat de la présidence de Reagan. La prolifération de nouveaux organismes à la Maison-Blanche, par exemple dans le domaine du commerce extérieur, témoigne d’emblée de cette volonté de centralisation et de concurrence bureaucratique.

Nous entrons certainement dans l’une des périodes les plus terra incognita de l’histoire des présidences contemporaines américaines. Personne ne peut prédire si elle sera bénéfique ou désastreuse pour les Américains et pour le monde.

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